Autoportrait en chevreuil de Victor Pouchet


Le prix du roman étudiant 2020 organisé par Télérama et France Culture permet à des étudiants de toute la France (pas seulement métropolitaine) de voter pour leur livre préféré parmi le cru suivant :

Chavirer de Lola LAFON, Histoire du fils de Marie Hélène LAFON (pas de lien de parenté avec Lola apparement), La Tannerie de Celia LEVI, Comme un empire dans un empire d'Alice ZENITER et enfin Autoportrait en chevreuil de Victor POUCHET. 

C'est celui-ci que j'ai pu lire en premier, petit roman d'à peine 200 pages dévoré en une soirée mais qui regorge de métaphores et de symboliques qui m'ont fait cogiter bien après l'avoir fini. 

Rien que le titre "Autoportrait en chevreuil" suscite une question : qu'est-ce que ce titre tarabiscoté signifie ?  Pour la réponse, allez à la partie analyse de cette chronique ou encore mieux lisez le et partagez votre interprétation !

Avant de se lancer dans la partie décryptage, de quoi ça parle ? 

Autoportrait en chevreuil raconte l'histoire d'un homme d'une trentaine d'années, Elias, qui décide de se replonger dans les souvenirs de son enfance sur les conseils de sa compagne. Ce retour dans le passé constitue a peu près la moitié du livre à laquelle s'ajoute une partie narrée par Avril (la dite compagne) qui nous offre un point de vue extérieur sur Elias. La troisième partie, d'une dizaine de pages, donne la clé de compréhension de l'histoire. 

Les thèmes du livres sont nombreux et tournent autour de la solitude et de l'ennui vécue par Elias pendant son enfance atypique, aux côtés d'un père obsédé par "les sciences occultes"   qui a toujours voulu lui communiquer cette passion. La fuite est également un thème prégnant si ce n'est LE thème majeur du roman. 

Un des points forts de ma lecture est le style de l'auteur fluide et poétique, rempli de jeux de mots que l'on prend plaisir à démêler  La manière dont Elias raconte ses souvenirs, parfois décousue, donne envie de tourner les pages pour en savoir plus. Dès que l'on sort de la partie consacrée à Elias pour celle narrée par Avril, on perd un peu ce style pour quelque chose de plus littéral et factuel puisqu'on lit son journal intime. Ce changement peut aussi être là pour appuyer le changement de point de vue. Cette phase du roman a le mérite de nous sortir des souvenirs d'Elias pour nous montrer comment il est perçu par un tiers qui n'a pas accès, comme nous lecteurs, à autant de souvenirs intimes. 


Il est difficile de parler en détails du livre sans trop en dévoiler. Donc voici ma tentative de "décryptage" du titre du livre :

"Autoportrait en chevreuil" est traduisible par "Portrait d'un homme en fuite permanente". Le lien entre Elias et le chevreuil est tout d'abord établi par le père dans la première partie du livre qui en fait son animal-totem. Cet animal a la particularité d'être en constante fuite face à ses prédateurs. Dans le cas d'Elias, ses prédateurs sont ses démons: sa culpabilité suite à la mort de son frère qu'il a causé (in)volontairement. Et si on remonte plus loin, on peut considérer qu'Elias a été en fuite toute son enfance, en fuite quand à la réalité et l'anormalité de sa relation avec son père. Il s'invente une cabane mentale faite de mots dans laquelle il s'abrite de tout ce qui le blesse psychologiquement, comme le fait d'être rejeté par les autres enfants.  

Le père est un personnage très intéressant car il empêche son fils de se développer convenablement, mais il fait aussi  figure de "sauveur" suite à la mort du petit frère qu'il qualifie de "grand accident", terme qui sert à faire comprendre à Elias qu'il n'en est pas responsable même si les doutes sont là. Par la suite, c'est le père qui éloigne son fils du domicile familial pour l'aider à se reconstruire. Le récit final du père concernant le chevreuil qu'il a secouru de la piscine et qu'il a ensuite relâché dans la forêt est un parallèle assez clair avec cette culpabilité qui submerge Elias. D'ailleurs, le fait que le chevreuil fuit tout de suite après être sorti du camion est peut être le signe qu'Elias refusera toujours d'affronter son passé. 

Pour finir, je souhaitais parler d'un autre thème, celui du feu destructeur. Le charbon qui brûle la main du narrateur enfant, l'usage du feu pour détruire et s'approprier les objets qu'il vole mais aussi l'incendie qui tue le petit frère, sont autant de liens entre la fatigue morale d'Elias et sa frustration qui s'expriment dans l'acte de détruire. Même le processus de retour sur son enfance est associé dès le début du récit à la pratique gitane cathartique de brûler la caravane d'un défunt. A noter que le père fait encore une fois figure de guérisseur lorsqu'il soigne la main de son fils par magnétisme. 







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